Farewell my friend [libre]

Une pluie battante s'abat sur le camp alors que les nuages, noirs et  menaçants depuis la fin de journée, viennent doucement voiler la lune de leurs sombres silhouettes. Des grondements se font entendre au loin et, dans ma tanière, roulée en boule, je redoute que l'orage ne fonde sur nous dans la nuit. La pluie a au moins le mérite de rafraîchir l'air ambiant, de nous permettre de respirer après une journée suffocante.

Incapable de trouver le sommeil, pas moins perturbée par l'incessant bruit des gouttes s'écrasant sur le sol déjà trempé que par cette désagréable sensation qui me saisit les tripes, je décide de me lever pour m'asseoir au seuil de ma tanière. De larges flaques d'eau commencent à apparaître et je vois déjà quelques guerriers s'empresses de mettre à l'abri les prises du jours avant que celles-ci ne se retrouvent détrempées. Ce petit manège de félins me rappelle que je n'ai pas mangé et j'irai certainement le faire si mon estomac n'était pas aussi noué. La raison de ce soudain inconfort m'échappe totalement. Assise, majestueuse, je décide tout de même de braver ce mur d'eau déferlant sur le camp et franchis les quelques mètres qui me sépare de l'antre des guerriers. Le trajet est court, mais suffisamment long pour que les gouttes de pluie ne commencent à plaquer ma fourrure sur ma peau.

Une bonne partie de mes valeureux compagnons se trouvent endormis, roulés en boule comme je l'étais un peu plus tôt. Les quelques âmes encore éveillées ne cachent pas leur surprise de me voir ici.

Je cherche Oeil de Jade, vous ne l'auriez pas vu ?

On m'apprend qu'il a quitté le camp il y a de ça un petit moment et on me précise qu'il est parti chasser vers les chutes de pierres. Je soupire intérieurement. La pluie s'est fait sentir toute la journée et lui décide de partir chasser une fois la nuit tombée... A quoi pense-t-il ?

Quelqu'un l'accompagnait ?

Le tremblement de mon miaulement ne dissimule en rien l'inquiétude qui grandit en moi. Je lui ai pourtant maintes fois répété qu'il serait temps de rejoindre ses camarades, qu'il n'y a aucune honte à se retirer après une telle vie de guerrier. Je devrais l'y forcer, mais je ne peux me résigner à le voir se morfondre, dépérir jour après jour dans la tanière des anciens.  

Mon frère est parti avec lui.

Mon soupir est cette fois bien audible, rassuré. Je remercie Queue de Pie, la gratifiant d'un doux ronron, puis je remet la truffe dehors, bravant de nouveau la pluie, lorsque venant du tunnel est, le cri plaintif de Bec de Corbeaux me transperce les os et me glace le sang. L'odeur du sang me saisit la gorge et se répand comme une trainée de poudre dans le camp. L'odeur qui suit est autrement plus terrifiante. Et à cet instant je sais. Je sais ce que je vais trouver si j'entre dans ce tunnel. La pluie tombe sur moi sans que je ne la sente, l'air semble devenir dur comme de la pierre et m'empêche tout mouvement, respirer me paraît chose impossible. Mon corps est une pierre que toute la volonté du monde ne pourrait faire bouger.

Et tout semble reprendre son cours quand apparaît, trainant Oeil de Jade par la peau du cou, Bec de Corbeau, à bout de souffle, trempé et suintant la peur par tous les pores de sa peau. Aucun mot n'est assez fort pour exprimer ce que je ressens en voyant le corps de mon ami si meurtri, si sauvagement marqué.

Des sangliers, finit par articuler le guerrier noir. On s'est fait surprendre sur le retour.

Il est faible et je comprends qu'il a dû trainer son compagnon de chasse jusqu'ici à la seul force de son cou. Autour de nous les chats se rassemblent déjà dans un mouvement commun, à la fois angoissés et horrifiés par le macabre spectacle qui s'expose sous leurs yeux. Je me sens vaciller alors que mon regard s'attardent sur ses pattes brisées, son corps piétiné... Est-il seulement vivant ? Une fourrure se colle à la mienne alors que le sol se dérobe sous mes pieds, pilier blanc dont le contact me donne la force de tenir.