Les yeux, verts et en amande, de la meneuse se posèrent délicatement sur le clan du Vent. Il était assez tard. Le Soleil était bien présent dans le ciel, prouvant que la Nuit n'allait pas s'installer toute de suite. Un fin sourire se posa sur les babines de la Sablée. Elle était réellement fière de la famille qu'elle avait, du clan qu'elle dominait. Quoique le mot " dominer " ne convenait vraiment pas à ce qu'elle pensait de cette famille. En effet, elle ne les gouvernait pas, ils avaient tous leurs propres vies et opinions, mais elle les aimait et les soutenait quoiqu'il arrive. Elle ne régnait pas, c'était plutôt eux puisqu'elle ne faisait que les suivre. Ils étaient son pilier, ses repères qu'elle refuse de quitter. La chatte s'assit sur le promontoire présent près de son antre, et elle laissa son regard être absorbé par l'horizon.

Ce clan était absolument tout pour elle. Lorsqu'elle était encore chatonne, elle ne s'en était pas rendue compte. Elle ne faisait que vivre une vie pleine de bonheur, de candeur et d'innocence. Elle jouait avec les autres, elle faisait des découvertes tous les jours, elle s'amusait avec les insectes qui pouvaient l'entourer. Puis en grandissant, elle avait murit mais elle n'avait pas perdu cette naïveté. Elle se laissait complètement aller à la vie, s'adaptant à toutes les situations et ignorant le malheur qui venait se glisser, subtilement, à ses pattes. Puis soudain, sa vie avait pris un tout autre tournant quand sa mère est partie rejoindre le clan des Etoiles. Et là, elle avait grandi brutalement, elle avait dû prendre des responsabilités dont elle n'était pas prête. Et heureusement pour elle, les membres de ce même clan lui ont montré qu'elle pouvait compter sur eux. Et elle ne les remerciera jamais assez.

Un gargouillement se fit brutalement entendre, et Azalée posa un oeil sur son estomac. Elle avait faim. Alors sans hésiter une seconde de plus, elle se releva et se mit à marcher. Là, elle marqua quelques endroits stratégiques, prouvant à sa famille qu'elle ne partait que pour quelques instants, qu'elle n'était pas loin et qu'elle reviendrait rapidement. Après une heure de marche, elle se retrouva dans la forêt. Délicatement, elle laissa son museau près du sol, ses vibrisses absorbant les odeurs. Bientôt, une odeur venant d'un rongeur se fit sentir. Elle releva la tête et son regard tomba sur un magnifique mulot : parfait ! Elle se fit alors subtile, calme mais avec les muscles tendus. Quand elle fut à quelques centimètres du mulot, elle se tapit au sol, tout son corps immobile et patienta. Heureusement pour elle, le vent était pour elle. Après plusieurs instants, elle se redressa et bondit. Le rongeur n'eut même pas le temps de couiner qu'elle l'avala immédiatement.

Une petite toilette pendant la digestion et la féline se remit debout pour se remettre en marche. Elle hésita un instant, mais finit par prendre le chemin des plateaux calmes, il ne faisait pas encore nuit donc elle avait encore le temps de profiter. Soudain, une odeur qu'elle ne connaissait pas apparue, une odeur de chat mâle. Un feulement sortit de sa gueule tandis qu'elle se mettait rapidement en route. Elle n'avait rien contre les chats passant sur ses terres, mais les inconnus étaient dangereux .. Au bout d'un moment, elle se retrouva face à un chat noir et blanc, au pelage crade. Elle resta debout, tendue mais pas agressive.

" Vous êtes perdu, mon cher ? " Ses yeux d'opale le fixaient avec autorité.

En réalité, depuis qu'elle est toute petite, Azalée a toujours été une chatte sauvage. Elle n'a jamais connu la domestication. Et cela ne l'intéressait pas. Elle ne comprenait même pas comment on pouvait vivre aux côtés de bipèdes. Qu'y avait-il de si intéressant ? Qu'offraient-ils ? Quel confort apportaient-ils ? Pouvaient-ils comprendre les chats ? Pouvaient-ils réellement les aimer ? Leur nourriture est-elle si bonne ? Elle ne savait pas, et ne voulait absolument pas le savoir. En effet, depuis son enfance, sa mère lui a toujours dit que les humains sont des êtres atroces, manipulateurs et influençables. Elle lui a toujours dit que les humains sont des animaux violents, cruels et surtout sanguinaires. Mais en avait-elle réellement la preuve ? Les avait-elle déjà vu ? Tous les jours elle se posait cette question. Mais ce n'est pas pour autant qu'elle ira voir. Ce n'est pas pour autant qu'elle cherchera la vérité. Alors non. Elle ne voulait absolument pas savoir si la nourriture était bonne, si le confort était présent et si l'amour était né entre ces deux espèces. Les humains sont à anéantir, tout simplement. Ou éviter, quand on est intelligents.

La chatte posa son regard sur le noir en face de lui. Ce chat avait le poil hirsute, une odeur d'humain mêlée à la nature, mais il ne semblait ni mauvais, ni malade. D'où venait-il ? Pourquoi était-il là ? Quel âge avait-il exactement ? Etait-ce un vagabond ? Un espion cherchant des informations ? La dernière option lui semblait invraisemblable. En effet, malgré qu'il y ait quatre clans, ils étaient tous en cohabitation pacifique. Ils se côtoyaient sans pour autant devenir amis, ils se toléraient sans pour autant empiéter sur chaque territoire, ils s'acceptaient sans pour autant devenir des altruistes. Ils étaient tous liés au même code. Le code du guerrier. Ce code était important, il rythmait leur vie et leur changerait s'ils l'enfreignaient. Alors c'est pour cela qu'elle ne rejeta pas immédiatement ce chat. Mais pas seulement. Elle avait beau être meneuse, elle refusait catégoriquement de laisser un chat seul sans défense. Elle ne voudrait pas avoir sa mort sur la conscience.

Finalement, la jeune meneuse s'approcha minutieusement du mâle. Elle tourna autour de lui, les muscles tendus au possible et chercha une réponse. En tout cas, une chose est sûre. Ce mâle ne représentait pas une menace. Il n'était pas méchant, cela se voyait à mille mètres. Bien sûr, il pouvait être manipulateur et se moquer littéralement de lui, mais intérieurement elle avait un doute. A se coucher au sol de cette manière, à être timide et surtout, elle pouvait sentir la peur en lui .. Non, il n'était vraiment pas méchant. A sa première phrase, elle eut subtil sourire moqueur. Ce chat était domestique, rien qu'à cette phrase elle le savait. Il n'était pas fait pour cette vie. Puis il y eut la question. Il cherchait les chats sauvages ? Le doute s'installa immédiatement dans le coeur de la sablée. S'était-elle trompée sur son cas ? Se moquait-il d'elle ? Elle ne saurait le dire. En tout cas, une chose est sûre, elle se recula et se méfia rapidement du noir.

" Il faut être aux aguets, ici. " Puis, elle plissa les yeux. " Ca dépend. Pourquoi les cherchez-vous exactement ? " On sentait l'autorité d'une reine dans sa voix.

En tournant autour du chat noir et blanc, Azalée avait pu sentir plusieurs odeurs sur lui. Certaines qu'elle appréciait tout particulièrement : les bois, les montagnes, l'herbe et les plantes. En étant une vraie chatte sauvage, elle les aimait énormément car elles représentaient à elles-toutes la vie sauvage. Cette vie où la Nature rythmait vos pas chaque seconde, où le Soleil se mariait avec la Lune chaque journée et où les animaux vivaient en communion. Souvent quand elle se promenait, elle aimait sentir ces odeurs, elle aimait les savoir imprégnées dans son pelage. Mais il n'y avait pas que cela. En les reniflant, tous ses souvenirs réapparaissaient au fur et à mesure. Elle revoyait ses premiers pas sur l'herbe fraîchement humide grâce à la bruine. Elle revoyait ses premières chasses dans les bois et ses premières proies. Elle revoyait ses premières nuits sous les étoiles. Oh oui, elle aimait énormément la Nature.

Mais une autre odeur prônait : celle du goudron. Elle ne connaissait que très peu cette odeur, mais elle savait ce qu'elle signifiait : la présence des hommes. En effet, malgré qu'elle n'en ait jamais rencontré, ni vu, les Reines en avaient souvent parlé. Mais surtout les guerriers. Ils les décrivaient comme des êtres sortis des enfers, comme des êtres qui vivaient dans des grottes assez étranges, comme des êtres qui se déplaçaient dans des machines faisant un bruit assourdissant. Alors, non, la chatte ne comprenait vraiment pas comment des chats pouvaient vivre avec de tels êtres. Quel était le confort dans tout cela ? Qu'est-ce que les hommes pouvaient-ils offrir aux chats ? Comment pouvait-on vivre en étant dépendant d'une telle espèce ? Elle ne comprenait vraiment pas et elle ne voulait pas comprendre. Elle n'approcherait jamais leurs maisons, ni même les hommes, elle se le promettait.

Lorsque la meneuse remarqua le comportement du mâle, un sourire satisfait naquit sur ses babines. Ce chat semblait complètement soumis, et c'est exactement ce qu'elle désirait. Elle détestait les chats qui se pensaient meilleurs que les autres, ceux qui aimaient avoir raison, ou ceux qui provoquaient les autres sans hésiter. Mais ce noir et blanc était différent. Elle pouvait sentir le respect et la soumission. Dans le fond, il avait raison. Dans un premier temps car un chat pénétrant dans un territoire adverse devait se faire petit, il ne devait pas imposer sa présence. Et dans un second temps car en voulant discuter convenablement avec un chat sauvage, ou une meneuse, il fallait se montrer digne. Il fallait accepter qu'elle vous regarde avec dédain.

Finalement, aux paroles du mâle, la chatte coucha les oreilles. Il voulait donc rejoindre un camp ? Mais de quel droit ? Et comment pouvait-il penser pouvoir y entrer, alors qu'il puait le confort humain ? Elle ne comprenait pas. Mais elle savait aussi que grâce au Code Du Guerrier, elle se devait d'être courtoise, clémente et tolérante. Alors, elle redressa les oreilles. Elle pouvait être ces trois qualités, tout en restant autoritaire et froide. Elle ne ferait pas rentrer n'importe qui chez elle.

" Rejoindre un camp, alors ? Et en quoi pensez-vous être utile à ce camp ? Quelles seraient vos qualités ? " Puis, elle tenta de sonder le mâle avec ses yeux verts émeraude. " Surtout que vous n'êtes pas totalement un chat sauvage, je me trompe ? "