Mal adresse (avec Azalée)

Aujourd'hui, la meneuse a pris une décision. Aller voir sa Mère. Malgré qu'elle ressente toujours cette même peur, toujours cette angoisse, elle refusa de rester dans sa tanière et de ne rien faire. Il était temps qu'elle assume ses responsabilités, qu'elle assume le pouvoir que l'ancienne meneuse lui avait offert, mais elle avait du mal. Beaucoup de mal. Du mal à savoir qu'elle avait un camp entier à diriger, du mal à savoir qu'elle devait prendre soin sur tous les chats, du mal à savoir qu'elle ne pourrait rien faire sans que ça ait des conséquences, du mal à aller quelque part sans s'inquiéter des remarques qu'on lui ferait. Elle avait trente-six lunes, et pourtant elle se sentait encore chatonne. Elle avait le sentiment d'être encore un bébé au milieu d'adultes qui ne la comprenaient pas. Mais aujourd'hui, elle a décidé de devenir adulte et d'accepter ses responsabilités.

La chatte sablée se leva rapidement. Elle s'étira quelques instants, s'ébroua et se toiletta avec douceur. Le Soleil n'était pas encore totalement levé, alors c'était le moment parfait pour pouvoir s'en aller. Son regard émeraude se posa sur le camp et un sourire tendre apparut sur ses babines. Les Reines dormaient encore dans leur demeure - sans doute fatiguées par les piaillements des chatons ainsi que leur demandes de tétées constantes. Elle pouvait entendre les ronronnements des guerriers qui dormaient paisiblement. Ca lui faisait du bien de les voir aussi calmes après une patrouille. Ils le méritaient. Les apprentis, quant à eux, semblaient déjà agités. Peut-être s'inquiétaient-ils des entraînements qu'ils allaient avoir. Ou peut-être s'ennuyaient-ils déjà de devoir dormir de si longues heures.

Ses yeux se posèrent ensuite sur le ciel et quand elle remarqua les reflets orangés, annonciateurs de l'arrivée du Soleil, elle compris. Il était temps qu'elle y aille. Après avoir marqué la plupart des roches, ainsi que des arbres, elle partis enfin vers son objectif. Les oiseaux se réveillaient petit à petit, les petits rongeurs sortaient progressivement de leurs terriers tandis que les grands mammifères allaient se coucher. Ils avaient mangé toute la nuit, alors il était temps qu'ils se reposent maintenant. La chatte finit par traverser le dernier camp et un sourire satisfait était sur ses babines. Tous les camps dormaient encore, ou alors étaient occupés. C'était parfait ! Au moins, elle pouvait marcher sans se poser de questions et offrir des justifications à tous les meneurs qu'elle pourrait croiser.

Et voilà : son objectif était enfin devant elle. La source des Lunes se représentaient devant elle comme le Saint Graal. Alors que la Meneuse allait marché vers celle-ci, un chat blond arriva et brusquement, disparu. Elle le reconnu immédiatement : Nuage de Blé. Un apprenti qu'elle appréciait particulièrement, puisqu'il semblait consciencieux et attentif. Mais où était-il ? Sans hésiter une seconde, elle marcha rapidement vers l'endroit où il venait de disparaître. Et là, avec un petit sourire amusé, elle le vit dans un trou. Consciencieux, attentif, mais maladroit. Elle s'assit alors au dessus de lui.

" Beh alors Nuage ? Encore tombé dans un sale trou ? "

En réalité, depuis qu'il était dans ce camp, Nuage l'intéressait de plus en plus. Mieux encore, elle l'appréciait réellement. D'un côté, elle l'aimait beaucoup pour le rôle qu'il allait bientôt endosser : Guérisseur. Bien sûr, ça pouvait paraître assez administratif dans un premier temps, mais ce n'était pas le cas. Il allait être utile au camp. Il allait soigner les chats lorsque Luciole serait trop mal en point, ou vieille. Il allait aider durant les combats. Il allait avoir un apprenti et le faire devenir de nouveau Guérisseur. Mais il n'y avait pas que cela. En effet, elle le trouvait tout particulièrement attachant. Malgré qu'il soit maladroit, tête en l'air et rêveur, il demeurait tout de même très consciencieux et surtout attentif à ce qui l'entourait. Il apprenait très vite ce que Luciole voulait lui apprendre. Plus elle l'observait, plus elle se rendait compte à quel point le blond pouvait évoluer. Plus le temps passait, plus il devenait très important pour le camp.

Mais malgré cette rigueur, Nuage était tout de même un jeune chat très maladroit. Et quand elle prenait du recul, elle pouvait considérer cela comme de la dangerosité. En effet, plus le temps passait et plus cette maladresse mettait en péril le camp. Elle le voyait déjà tomber dans un trou, se retrouver face à Etoile de Braise et ne pas savoir quoi dire. Ou alors se retrouver coincé entre deux branches et se retrouvant face à Etoile Sulfureuse. Dans les deux cas, tout cela pourrait provoquer un conflit. Et les conflits, elle n'en avait pas envie. Braise était ronchon, trop compliqué à amadouer. Tandis que Sulfureuse était gentille foncièrement mais elle ne méritait pas les conflits. Et puis à trente-six lunes, elle n'avait aucune envie d'avoir des ennuis avec ces deux chats. Alors, il faudrait qu'elle fasse attention à cet apprenti. Qu'il ne fasse pas trop d'étourderies.

Les yeux émeraude de la Meneuse se posèrent délicatement sur le chaton. Et sans qu'elle ne comprenne réellement pourquoi, elle se revoyait à sa place. Elle revoyait sa propre enfance à la place de la sienne. Petite, elle était exactement comme lui. Elle courait partout sans se poser de questions, elle tombait dans des trous sans s'en rendre compte, elle se retrouvait face à des problèmes dont elle ne s'y attendait pas, elle se retrouvait face à des chats qui ne s'attendaient pas vraiment à sa présence. Voilà, elle était exactement comme lui. Et c'est sans doute pour cette raison qu'elle l'appréciait autant. Sans doute pour cette raison qu'elle voulait le prendre sous son aile. Bien sûr, il était l'apprenti de Luciole mais il demeurait un jeune chat présent dans son camp. Donc, elle ferait attention à lui, elle prendrait soin de lui si besoin et elle le protégerait. Elle ne lui dira jamais, mais elle tiendra sa promesse.

Un sourire attendri naquit sur les babines de la Sablée tandis qu'elle entendait les paroles du plus jeune. Alors comme ça, il s'était vautré et en plus de cela, il ne trouvait aucun moyen de remonter. Alors, soit il n'était véritablement pas doué, soit il avait la poisse collée à son pelage. Réellement, elle pencherait surtout pour la seconde option. Parce que quand elle le voyait travailler avec les plantes, il lui paraissait si délicat, si doué de ses pattes. Donc, non, il avait certainement la poisse. Alors, elle posa ses yeux partout essayant de trouver une solution. Puis, une idée lui vint immédiatement. Alors, elle courut presque le coin ouest du trou. Là, elle chopa l'extrémité d'une racine qui pendait. Elle la balança dans le trou.

" T'as de la chance que je sois souvent derrière toi, hein ... " Elle avait dit cela sur un ton mi-amusé, mi-autoritaire.

En réalité, depuis qu'elle était toute petite, Azalée avait refusé catégoriquement de devenir une meneuse comme sa mère. On irait pas jusqu'à dire qu'Abyssie avait régné en dictatrice, en chatte voulant qu'on la craigne plus qu'on ne la respecte, et qu'on s'agenouille devant elle. Mais elle avait des préférences vis-à-vis des chats de sa communauté. Elle en aimait certains plus que d'autres, et elle ne se cachait pas pour le montrer. Ca en vexait certains ? Elle s'en foutait complètement. Ca en complexait d'autres ? Elle en rigolerait presque. En vérité, elle voulait que ses chats méritent son respect, qu'ils lui prouvent chaque jour quitte à se blesser, et qu'ils l'admirent officiellement. Et la sablée refusait catégoriquement de devenir comme elle, elle refusait que les chats de son clan ressentent la même chose : ils ne le méritaient pas.

En réalité, elle considérait que tous les chats du vent étaient exactement identiques, égaux et surtout qu'ils méritaient tous le même amour. Elle les aimait comme ses propres chatons, comme des fils et des filles qu'elle n'avait pu avoir, comme des êtres qu'elle ne pourrait plus qu'elle-même. Parfois, elle se demandait pourquoi elle agissait de cette manière, pourquoi elle les aimait autant et surtout s'ils le méritaient réellement. Puis finalement, ces questions disparurent aussi rapidement qu'elles vinrent dans sa tête. Elle les aimait tout simplement, et aucune réponse ne pourrait vaincre tout cela. Ils étaient devenus la famille qu'elle a toujours voulu, une famille qu'elle refusait de perdre.

Et ce chaton faisait partie de sa famille alors elle l'aimait bien plus que sa propre prunelle. Bien sûr, il pouvait faire pas mal d'étourderies, bien sûr il pouvait faire pas mal de maladresses, mais il demeurait l'un de ses fils. Alors oui, elle sera continuellement derrière lui, elle l'observera à n'importe quel moment de sa vie, elle le suivra absolument tout où il irait, elle surveillera absolument tous ses faits et gestes. Bien sûr, elle pourrait paraître intrusive, mais elle s'en foutait complètement. Si en faisant ainsi, elle pourrait sauver sa vie, elle sera alors très heureuse de le faire. Et aujourd'hui, apparemment, elle avait bien fait de le suivre puisqu'encore une fois il s'était mis dans de sacrés beaux draps.

Mais aujourd'hui, autre chose la perturbait. Comment un trou aux parois si lisses s'était-il trouvé là ? Qui l'avait creusé ? Un animal bien plus gros qu'un chat ? Les bipèdes ? Un chien ? Pour la seconde option, pourquoi auraient-ils fait cela ? Faisaient-ils cela pour anéantir les chats ? Pour leur faire du mal ? Ou était-elle seulement paranoïaque ? Après, il ne fallait pas lui en vouloir. Depuis sa naissance, elle considérait les bipèdes comme des êtres foncièrement mauvais, cruels et surtout extrêmement violents. Elle n'en avait jamais rencontré, mais elle en était convaincue. Et elle ne saurait dire pourquoi.

Finalement, quand le chaton attrapa la branche et croisa ses pattes, la meneuse planta ses griffes dans le sol et pencha son corps vers l'arrière pour tirer la racine vers elle. Alors, quand le chaton se retrouva vers elle, elle n'hésita plus une seule seconde et prit la peau du cou de celui-ci avec ses crocs. Elle le tira légèrement et le redéposa au sol.

" Ne promet pas des choses que tu seras incapable de tenir. " Elle lui adressa un petit sourire. " En tout cas, tu ferais mieux de chercher des plantes plutôt que te promener seul, ici. "